Confiner est-il forcément négatif pour l'économie ?

Texte publié initialement sur une autre plateforme en octobre 2020. Texte effectivement daté ;-)

Vitrine de magasin avec une pancarte closed Pixabay - RyanMcGuire

Il me semble que de plus en plus de personnes estiment que l’on met exagérément à mal notre économie par peur de mourir. Dernière variation autour de ce thème, la déclaration de Eric-Emmanuel Schmidt dans L’Echo : On décide de tuer l’économie pour éviter de mourir, comme si la mort était quelque chose qu’on peut éviter.

Implicitement, il y a l’idée si l’on ne faisait rien, ce serait meilleur pour notre économie (au détriment des vies). Mais est-ce tellement évident ?

J’ai écrit par ailleurs et je continue à penser que le premier lockdown est extraordinaire dans le sens où effectivement, on a pris la décision de mettre à mal notre économie pour poursuivre un autre but qui était d’éviter une catastrophe sanitaire encore pire. Je pense que l’on peut s’en réjouir parce que cela rappelle combien le bien commun va largement au-delà de l’activité économique et qu’il n’y a pas de raison de toujours mettre celle-ci au-dessus du reste.

Mais peut-être qu’au-delà des apparences, le lockdown était aussi la meilleure manière de protéger notre économie. Je n’ai aucune certitude sur le sujet et je ne vous en offrirai pas dans ce texte. Je veux juste montrer qu’il y a des raisons de douter du simplisme qui associe lockdown à tuer l’économie.

Pour la simplicité de l’argumentation, je vais faire comme si nous n’avions que le choix entre ne rien faire et les mesures de confinement total (comme lors de la première vague) ou partiel (comme maintenant). Je reviendrai sur un peu plus de nuances à la fin du texte.

Que se passe-t-il si on ne confine d’aucune manière ?

Dans les hôpitaux

Il y a trois grands types de scénarios possibles par rapport aux hôpitaux.

Compter sur les hôpitaux tout en les abandonnant

Dans ce cas-ci, on ne fait rien. Pas de lockdown pour ne pas nuire à l’économie et pas de moyens supplémentaires pour les hôpitaux. Mais on continue d’attendre du système hospitalier qu’il prenne en charge tout le monde.

Il ne faut sans doute pas beaucoup plus d’un mois à partir de maintenant pour que l’afflux de malade congestionne totalement les hôpitaux. On ne sait pas où mettre les nouveaux entrants. Le personnel est à bout. Ceux qui sont encore là, se retrouvent devant des choix éthiques insupportables pour savoir quel malade sauver au détriment d’un autre.

Même si on reste dans l’hypothèse de ne pas mettre plus de moyens dans les hôpitaux, il y a un coût caché important : les hôpitaux ne sont plus capables de remplir leur rôle. Avec le même argent, ils ne soignent plus autant de personnes à cause du chaos.

Par ailleurs, il y a un nombre de morts très important.

Injecter les moyens nécessaires dans les hôpitaux

Toujours pas de lockdown. Contrairement au cas précédent, on soutient à fond nos hôpitaux pour augmenter leur capacité d’accueil. Je passe la question de savoir si cela est techniquement possible (approvisionnement en matériel, disponibilité du personnel, etc…).

Combien de lits en unité de soin intensif doit-on prévoir ?

Service hospitalier

Je ne suis pas spécialiste de cette question mais supposons que l’augmentation en pourcentage du nombre de lits occupés en USI reste constante. L’augmentation entre le 9 et le 16 octobre était de 69%. Je vais prendre une croissance de 60% par semaine. Le nombre de lits occupés était de 358, arrondissons à 350.

Après un mois, il faut près de 2.300 lits. Après 6 semaines près de 5.900 et après 8 semaines plus de 15.000 lits.

Je vous laisse estimer le coût que cela pourrait représenter.

Abandonner les malades du Covid-19

Si on ne fait pas de lockdown et que l’on ne veut pas à avoir subir un coût trop important au niveau des hôpitaux, il reste la solution d’abandonner les malades du Covid-19. On ne prend en charge ces malades que tant que cela n’empêche pas la prise en charge des malades normaux, non Covid. Éventuellement, on peut nuancer en abandonnant aussi des malades normaux dont les probabilités de survie sont faibles de toute manière.

Dans le fond, c’est trancher a priori les dilemmes éthiques du premier cas pour éviter que le chaos ne se crée et que l’on ne doive les poser en urgence.

Pour le nombre de morts engendrés, on peut penser que cela sera sans doute de l’ordre de grandeur des lits calculés à la section précédente.

Du côté des entreprises

On l’a vu ci-dessus, le coût de ne pas confiner peut-être très important au niveau des hôpitaux ou alors il faut accepter un grand nombre de morts. Qu’en est-il du côté des entreprises ?

En mars-avril, des taux d’absentéisme de l’ordre de 20 à 30% n’étaient a priori pas exceptionnels. Faire tourner une entreprise avec 20% à 30% de personnel en moins n’est sans doute pas si compliqué sur quelques jours (et encore). Mais une fois que cela s’inscrit dans le temps, cela devient bien plus complexe et il est pratiquement impossible de continuer à fonctionner normalement.

Certificat médical en train d'être signé

La diminution de production est quasiment immanquable mais, pour des questions organisationnelles, la diminution peut être supérieure aux nombres d’absents. Par conséquent, le coût unitaire de production augmente. En d’autres mots, la productivité et la profitabilité de l’activité diminue.

En mars-avril, la situation était relativement sous contrôle dans les hôpitaux mais si elle devait devenir catastrophique et que le taux de mortalité augmente, il est fort à parier que le taux d’absentéisme dans les entreprises lui serait d’autant plus élevés. Par ailleurs, une fois que le taux de mortalité augmente trop, ce n’est plus d’une absence qu’il faut parler mais littéralement d’une perte de capital humain pour l’entreprise.

On pourrait élaborer sur la question mais l’on voit déjà bien que même sans lockdown, la situation dans les entreprises peut rapidement se dégrader. Un lockdown ne résout pas tout mais peut être une option pour éviter trop de chaos.

Quelques dernières pensées pour la route

Si Boris Johnson a finalement pris des mesures de confinement alors qu’il est un partisan acharné du laissez-faire, c’est sans doute qu’il est arrivé à la conclusion que même pour l’activité économique, le confinement était alors la meilleure solution.

Un working paper sur les impacts économiques de la grippe espagnole tend à penser que ce sont les villes qui ont pris le plus rapidement des mesures agressives qui s’en sont le mieux sorti économiquement. Pas mal de raisons de ne pas faire un parallèle trop rapide avec notre situation actuelle mais bien un indice que la relation entre activités économiques et mesures contraignantes n’est pas si simple.

Dans ce texte, je ne considère que l’option confinement sans parler du testing et du tracing. Il est à craindre que nous soyons aujourd’hui de nouveau à un niveau trop élevé pour que testing et tracing soient suffisants. Par ailleurs, testing et tracing ont aussi un coût. Il faut considérer ce coût et le comparer au coût des mesures de confinement totale ou partielle. Rien ne garanti que cette comparaison amène systématiquement à la conclusion qu’il ne faut aucune mesure de confinement.