Réponse à Ploum (sur le dopage éthique)

Fin juillet 2023

Une silhouette de cycliste

Le dopage est un sujet qui revient régulièrement lorsqu’il s’agit de cyclisme particulièrement en période estivale pendant le tour de France. L’occasion pour certains blogueurs prolifiques de ressortir sur les réseaux sociaux de vieux billets de blog sur le sujet. C’est ainsi que Ploum a déterré l’un de ses billets de 2015.

Je suis en très grande partie d’accord avec le texte de Ploum et je ne vous offrirai dès lors pas une grande polémique avec cette brillante personne. Néanmoins, quelques nuances et quelques autres domaines à explorer en rapport avec le sujet me semblent pertinentes à partager.

Je suis mille fois d’accord avec Ploum quand il explique qu’une différence importante avec les autres ne permet pas de conclure à la présence évidente de dopage. Par contre, si aujourd’hui, je pense que le plus probable est que Vingegaard et Pogacar soient dopés, c’est plutôt avec les analyses de Nicolas Portoleau et Antoine Vayer concernant les watts développés par les différents coureurs. C’est une approche scientifique bien que posant pas mal de questions méthodologiques et n’offrant pas non plus une conclusion à 100% indiscutable. Une performance brute exceptionnelle isolée est interpellante mais pas une preuve forte. Par contre, la multiplication de ce type de performances que l’on recommence à observer depuis quelques années me semble le plus aisément expliquée par le dopage. Je cite Vingegaard et Pogacar pour lesquels je serais étonné qu’ils ne soient pas dopés, mais il y a clairement d’autres coureurs pour lesquels je ne serais pas spécialement étonné s’il devait s’avérer un jour qu’ils sont aussi dopés.

Il me semble que Ploum considère comme problématique le fait que la frontière entre dopage et traitement autorisé soit arbitraire. Si c’est le cas, je ne peux pas le suivre. En effet, dans tout sport, dans tout jeu, il y a des règles à respecter sous peine d’adopter un comportement de tricheur et ces règles sont pratiquement toutes arbitraires. Pourquoi un IMOCA doit-il se limiter à 60 pieds ? Pourquoi peut-on faire des changements en football ? Pourquoi ces changements sont-ils limités en nombre ? Pourquoi en tennis un let est à rejouer ?

Par rapport au respect des règles, on peut se poser la question de savoir s’il est pertinent d’imposer des règles incontrôlables vu qu’une série de produits dopants ne sont visiblement pas détectables. J’observe simplement que dans certains sports, il y a bien des règles qui sont difficilement applicables mais qui sont imposées. Si vous prenez le Vendée Globe, tour du monde à la voile sans escale et sans aide extérieure, il n’est pas permis d’obtenir de l’aide extérieure. Cette règle est compliquée à appliquer parce que 1) surveiller continuellement et parfaitement des bateaux tout autour du monde est simplement impossible et 2) dans les aides extérieures interdites sont aussi concernées les conseils météo transmis par télécommunication alors que ces communications ne sont pas interdites en soi pour d’autres usages (avoir des nouvelles de la famille ou recevoir des conseils sur comment effectuer une réparation par exemple). Pourtant, à ma connaissance, personne ne remet cette règle en cause dans le cadre du Vendée Globe.

De manière proche mais différentes, dans pas mal de sports, il y a aussi des règles difficiles à appliquer parce que faisant intervenir l’intentionnalité. Qu’est-ce qu’une faute d’anti-jeu en football ? Toujours en football, certaines semelles ne sont pas sanctionnées parce que totalement non-intentionnelles. En pratique, si l’on considère le football, la solution est de donner à un acteur – l’arbitre – le rôle de dire ce qui est fautif et ce qui ne l’est pas. On peut être en désaccord avec des décisions, des interprétations de l’arbitre mais au final cela fait partie du jeu. La plupart des décisions de l’arbitre sont sans recours possibles même en cas d’erreur flagrante (remember la main de Dieu).

L’arbitraire de certaines règles ou la difficulté de les appliquer ne me paraissent donc pas une raison à elle seule suffisante de ne pas les imposer.

Les nuances et potentiels désaccords mentionnés ci-dessus ne disqualifient pas pour autant ce qui m’apparaît comme la proposition centrale de Ploum : autoriser le dopage avec comme unique contrainte le respect de la santé des athlètes. De manière complémentaire, Ploum suggère que s’il y a jugement et condamnation, cela doit bien plus porter sur l’entourage des cyclistes (docteurs, équipe, sponsor…) bien plus que sur les cyclistes eux-mêmes. Condamnation qui ne porterait pas sur le dopage mais sur la mise en danger d’autrui.

Le sport de haut niveau permettrait alors de développer des produits et des aliments qui nous aideraient à mieux vivre et qui auraient un impact positif sur la santé. Tout produit qui se révélerait nocif, même à très long terme, serait immédiatement rejeté par les coureurs eux-mêmes.

Le sport de haut niveau deviendrait donc un moteur positif d’innovation, un laboratoire pour la santé et la connaissance du corps humain, ce qu’il est déjà pour le matériel et la technologie.

Hormis que cette approche s’inscrit dans un techno-optimisme peut être un peu trop important, comment ne pas souscrire à cette utopie ? On se déchargerait en tout cas de l’hypocrisie qui peut exister autour des questions de dopage.

Un premier questionnement pourrait être de savoir s’il est légitime, éthique d’imposer à tous ceux qui souhaitent s’investir dans une carrière sportive de devoir se doper. Si tout le monde se dope, il sera difficile de pouvoir réussir une carrière sportive sans soi-même se doper.

Ensuite, il faudrait sans doute prévoir une responsabilité pénale suffisamment importante de l’encadrement des cyclistes pour que celui-ci soit bien incité à ne pas prendre de risque démesuré par rapport à la santé des athlètes. Ce qui ne serait pas simple. En effet, vu le nombre d’acteur qui gravitent autour des coureurs, il y a un risque de dilution de la responsabilité. Par ailleurs, la médecine, la science n’est pas faite de certitude et évolue avec le temps. Quelle serait la responsabilité d’un médecin si par après, il s’avère qu’une médication dopante qu’il a proposé est au final nocive à la santé ? La multiplicité des acteurs et les incertitudes mènent aussi à la question des effets cocktail. Un médecin pourrait prescrire un traitement inoffensif pour la santé. Un second médecin pourrait conseiller au même coureur un autre traitement complémentaire et lui-même tout aussi inoffensif. Mais, vu la complexité des choses, la combinaison de ces deux traitements pourrait être catastrophique.

Indépendamment du fait d’autoriser le dopage ou pas, la responsabilité de l’entourage est un point que l’on pourrait déjà reprendre aujourd’hui. Et sur le sujet, j’aurais tendance à bannir du milieu du cyclisme les personnes impliquées dans le dopage. Il est hallucinant de voir les anciens dopés rester dans le milieu, dans l’encadrement des équipes. C’est une des raisons qui me poussent à être dubitatif sur le fait que le dopage ne soit plus présent dans le monde du cyclisme.

Par rapport à aujourd’hui, la transparence permettrait sans doute aux cyclistes de mieux ou en tout cas plus facilement s’informer. En complément d’imposer une responsabilité suffisante à ceux qui prescrivent les traitements dopants, il serait sans doute souhaitable d’aussi imposer une totale transparence dans le chef des médecins. L’articulation de cette transparence avec le respect de la vie privée des coureurs pourrait être complexe. Concernant toujours la transparence, elle devrait aussi porter sur les performances des athlètes. Une mesure qui me semble pourrait être déjà appliquée aujourd’hui serait d’imposer aux athlètes un capteur de puissance (et éventuellement d’autres capteurs tels que des cardiomètres) et de partager les données récoltées. Une évolution soudaine des performances d’un coureur permettrait de se poser des questions sur ce qui l’explique. Aujourd’hui, pour détecter des tricheurs. Dans le monde de Ploum, pour identifier les traitements qui marchent.

Reste la principale incitation à se doper, l’esprit de compétition et les gains associés à la victoire. Aujourd’hui, cela pousse au dopage. Dans le monde utopique de Ploum, cela ne pousserait-il pas les athlètes même en parfaite connaissance de cause à sacrifier un peu leur santé au profit de la performance ? Sacrifice d’autant plus simple à accepter que l’on pourra se rassurer en se disant que le risque pour la santé n’est pas certain. S’il y a une transparence sur ce chacun fait, on pourrait avoir des phénomènes de groupe où collectivement les athlètes prendraient trop de risque par rapport à leur santé. Leur encadrement aurait beau jeu alors, en cas de mise en cause, de plaider qu’à l’époque tout le monde considérait certains traitements comme sans danger.

Il faudrait donc réduire l’intérêt de tricher/de prendre des risques avec sa santé. Il faut donc réduire l’intérêt de gagner. En poussant cette idée à l’absurde, il faut en fait supprimer la compétition. Si l’on ne veut pas aller jusqu’à ce point, on doit réduire les flux financiers autour du sport. En imposant un salary cap ? Une limite aux gains offerts aux vainqueurs ? En limitant la publicité autour des évènements sportifs et les possibilités de sponsoring ? En supprimant ou limitant les droits télévisuels ? Ce ne serait pas magique vu que le dopage est aussi présent dans les courses amateurs mais cela réduirait l’incitation à aller trop loin.