Des trains, des voyageurs, des comptages et des petites gares
Je reprends dans ce billet de blog trois posts publiés en mai et juin 2025 sur une autre plateforme.
Un train ? Mais qu’est-ce donc un train ?
Dernièrement, je me trouvais avec des chercheurs universitaires et, au cours de la discussion, ceux-ci émirent l’hypothèse que les gens “normaux” devaient les trouver bizarres notamment par rapport à leur manie de sans cesse creuser et préciser les concepts qu’ils utilisent.
Tout bien considéré, il me semble que même hors du contexte académique, il y a de très nombreux cas où les concepts nécessitent d’être creusés au-delà des premières évidences si l’on veut donner une réponse pertinente.
Par exemple, le concept de train ne semble pas nécessiter de grandes précisions pour que l’on soit d’accord de quoi on parle. Et pourtant, je serais bien en peine de savoir ce que je dois vous répondre comme vous m’interrogez sur le nombre de trains en Belgique.
Parlez-vous du matériel ? Les 96 AR41, 120 AM 96, 300 AM08,… Ou bien vous attendiez-vous plutôt à ce que je vous parle des parcours ? Louvain-Ottignies de 11h24, Ostende-Eupen de 12h42, …
Plutôt des parcours ? Êtes-vous intéressés par une mesure de la quantité d’offre proposée ? Alors je ne dois compter que les parcours à charge. Vous vous posiez plutôt la question de l’usure provoquée par le passage des trains ? Alors je dois aussi tenir compte des parcours à vide.
Vous ne m’avez pas dit non plus si vous vous intéressiez aux trains de tous les opérateurs ou seulement à un segment donné (voyageur, marchandise,…) ou même à un seul opérateur. Seulement aux trains de la SNCB ? Tous ceux qui roulent sous la licence SNCB ou bien seulement ceux qui roulent sous le nom commercial de la SNCB ? Dois-je faire une distinction selon le fait qu’ils rentrent dans le cadre du contrat de service public ou non ?
Si le train était planifié et qu’il a été supprimé, je dois le compter ou pas ? Oui ? Dans quels cas dois-je considérer qu’il était planifié ? S’il était planifié en long terme (commandé en avril pour le service annuel suivant) ? en court-terme (dans le cadre d’une période PERT) ? en temps réel ?
Si vous vous intéressez aux revenus d’Infrabel, vous serez plus intéressés par les trains facturés. Concept qui ne recouvre parfaitement aucune des catégories mentionnées jusqu’ici.
Aucune des questions, des distinctions que j’ai mentionnées ci-dessus n’est artificielle. Je les ai toutes rencontrées au cours de ma carrière (et continue pour la plupart à les rencontrer) dans des situations qui n’avaient rien d’exceptionnelles. Et je vous en ai épargné d’autres.
Ventes et voyageurs
Alors que je manifestais avec 70 à 110 mille personnes contre l’indifférence coupable de notre gouvernement vis-à-vis de Gaza, nous avons parlé de comptage avec des co-manifestants. Quelqu’un était très étonné que la SNCB ne se contente pas des chiffres de vente pour mesurer le nombre de voyageurs et que des comptages voyageurs sont réalisés
Pourquoi est-il compliqué de déterminer le nombre de voyageurs uniquement sur la base des ventes ?
- Si vous êtes intéressés par le nombre de passagers d’un train pour offrir suffisamment de places, peu importe qu’une personne soit à bord avec ou sans titre de transport. Les ventes ne vous disent rien sur les passagers clandestins
- Certains titres de transport ne sont pas liés à une origine/destination précise. Quelques exemples ? Les CityPass à Anvers, Liège, Gand et Charleroi, le BruPass (XL), les Youth Holidays, Youth Multi, Standard Multi, tous les abonnements et tickets de ou vers une zone tarifaire…
- Même quand le titre de transport possède une destination/origine précise, rien ne garantit que ce sera la gare utilisée. Si vous habitez proche d’une gare, peut-être que parfois vous y prendrez le train alors que d’autres fois vous prendrez votre vélo pour rejoindre une autre gare avec une offre supérieure
- Combien de déplacements effectue une personne avec un abonnement ? La réponse est loin d’être évidente et peut varier selon les personnes, les endroits, les moments… Même avec un ticket, il n’y a pas de certitude. Il m’est arrivé d’acheter un aller-retour et finalement de rentrer autrement
Pour ces raisons, si vous voulez déterminer à partir des ventes le nombre de voyageurs ferroviaires, le nombre de passagers d’un train, le nombre d’usagers d’une gare particulière,… vous devez faire des hypothèses pour passer de ces ventes à une estimation. Et si vous voulez que ce modèle de transformation des ventes en passagers soit suffisamment précis, il vous faut le calibrer. Et pour le calibrer, le mieux est d’avoir une source d’information plus directe dont la plus évidente est un comptage
Oui mais, me répondit-on, une fois qu’on a effectué cette calibration, pourquoi continuer à compter ?
Pour que le modèle de transformation des ventes en passagers garde toute sa précision au cours du temps il faut que le monde ne change pas
Il est bien connu que personne ne déménage, que la situation familiale de tous les Belges est figée, que les réseaux routier cyclable et piéton sont figés, que le prix de l’essence et des parkings sont fixes, que la météo et l’économie sont identiques année après année, … Évidemment ces éléments et d’autres ne cessent de varier. Tous ces éléments peuvent influencer le modèle de transformation des ventes en passagers.
Ventes et comptages sont deux manières d’approcher la réalité. Selon les cas, l’une ou l’autre source sera la plus pertinente. C’est souvent en combinant ces deux données que l’on tire les enseignements les plus intéressants.
Petites gares ? Vous avez dit petites gares ?
Si vous vous intéressez aux comptages voyageur de la SNCB, vous aurez peut-être déjà remarqué qu’en prenant un nombre plutôt faible de gares, vous obtenez déjà une très grande partie des voyageurs montés sur l’ensemble du réseau. Les 20 plus grandes gares représentent près de 55% des voyageurs montés. Les 80 suivantes pas très loin de 30%. Les plus de 400 restantes moins de 20%.
Pourquoi ne pas supprimer les plus de 400 petites gares qui ne représentent même pas 20% des montées journalières. 20% c’est beaucoup mais si cela permet de supprimer plus de 80% des gares …
Jouons un peu avec les chiffres pour voir ce que cela pourrait faire concrètement.
- Supposons que les 20 plus grandes gares comptent pour 500.000 voyageurs montés et les 80 suivantes pour 300.000 et les plus de 400 autres pour 200.000.
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Première nuance, nous parlons de voyageurs montés c’est-à-dire qu’une personne qui effectue une correspondance est comptée deux fois. La première fois lorsqu’elle débute son trajet et la deuxième fois lors de sa correspondance.
- Supposons que 25% des voyageurs réalisent une correspondance et que les correspondances s’effectuent toutes dans une des 100 plus grandes gares.
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Cela signifie que vous avez 800.000 trajets (vs 1.000.000 de montées) et que les petites gares sont la gare d’origine de 25% d’entre eux (vs 20% des voyageurs montés).
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Dans la grande majorité des cas, les gens rentrent chez eux et donc effectuent un aller-retour.
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Posons une hypothèse un peu forte : toutes les personnes partant d’une petite gare se rendent dans une des 100 plus grandes gares.
- En fermant les plus de 400 gares vous passez de 800.000 trajets à 800.000-200.000(allers)-200.000(retours)=400.000 trajets.
Vous avez perdu 50% des trajets en fermant des gares qui ne représentaient pourtant que 20% des voyageurs montés. Étonnant n’est-ce pas ?