T'es bien gentil avec ton petit vélo
Autant que possible, je me passe de voiture. Je n’ai personnellement jamais possédé de voiture et mon ménage n’en possède plus depuis près de 15 ans. Le vélo et les transports en commun sont mes modes de déplacement préférés. Récemment, on m’a dit que j’étais bien gentil avec mon petit vélo mais que je n’avais aucun impact réel sur le sort des populations de Tuvalu alors qu’une personne qui prendrait sa voiture pour aller aider une autre personne à faire du tri dans sa maison a un impact concret sur la vie de la personne aidée.
Je ne disserterai pas sur la deuxième partie de la remarque ni sur la comparaison entre les deux éléments de l’affirmation. Je me contenterai ici de mettre un peu d’ordre dans mes idées personnelles qui me poussent à quand même voir du sens à me balader très prioritairement sans voiture et donc souvent avec mon petit vélo.
Je ne crois pas à un complot de personnes qui auraient décidé de provoquer le réchauffement climatique. Je suis par contre convaincu qu’il y a des personnes, puissantes, qui ont un intérêt au statu quo et qui dès lors nourrissent activement au sein de la population le sentiment du à quoi bon. Ce n’est pas ma motivation principale mais je me méfie de ce sentiment de à quoi bon qui en général ne nous fait pas du bien. Par ailleurs, ces “puissants” ont tendance à vouloir nous faire croire qu’un seul monde est possible voir ont tendance à vouloir imposer une forme de totalitarisme. Et le totalitarisme, il n’aime pas l’hétérogénéité. Vivre de manière un peu alternative, avec son petit vélo, est aussi une résistance à une forme de totalitarisme.
Je ne me berce pas pour autant dans une impression que quand on veut on peut ou bien que le grand soir soit pour bientôt pour peu que l’on s’unisse. Je pense effectivement que si tout le monde s’engageait en même temps dans la bonne direction, cela changerait bien plus vite mais je ne crois pas au grand soir et je n’en ai pas besoin. C’est une tautologie de dire que si personne ne fait rien, il ne se passera rien mais cela reste souvent vrai. Si personne ne change son mode de vie, on continuera à brûler la terre à vitesse grand V. Le colibrisme n’a pas toujours bonne presse mais il faut bien reconnaître que si personne ne s’engage, il n’y a plus d’espoir. Avec mon petit vélo, je crée donc un petit fragment d’espoir.
Avant de continuer sur la question de l’efficacité de l’action individuelle, je vais m’arrêter un peu sur la question de : est-ce nécessaire que cela soit efficace ? Non pas que je souhaite prôner l’inefficacité ou le gaspillage mais il me semble qu’à certain moment, même si notre action individuelle n’est pas forcément efficace, elle mérite d’être menée. Ne rien tenter par rapport au réchauffement climatique me paraît une attitude qui ne saurait être éthiquement tenable. Nous sommes pratiquement tous collectivement par notre mode de vie responsables du dérèglement climatique et donc des morts qu’il entraîne. Me dire que je ne tente absolument rien est juste indécent pour moi.
J’en viens à une critique récurrente du colibrisme : l’action collective est bien plus efficace que l’action individuelle. Et je suis bien d’accord avec cela mais la réalité est que les personnes les plus investies dans les actions collectives sont en général les plus investies dans les actions individuelles. Dit autrement, l’action individuelle n’empêche pas l’action collective. Ces deux types d’action ne sont donc pas antinomiques mais plutôt complémentaires. Il est évident que mon inclinaison pour le colibrisme n’est pas un soutien des trop nombreuses autorités qui appellent aux petits gestes des citoyennes et citoyens sans assumer leur responsabilité sur des décisions avec des impacts bien plus globaux et systémiques.
- De toute manière, ne pas diminuer spontanément au niveau individuel les comportements indésirables c’est donner raison (en tout cas matière) à l’affirmation que les gens, même pas vous, n’êtes prêts à faire un sacrifice.
- Par ailleurs, agir au niveau individuel s’est se rendre compte de la réalité de ce qui est possible et de ce qui est plus difficile. Cela permet d’être plus pertinent dans les combats collectifs que l’on soutient même si on doit se méfier du risque du : ça marche pour moi, donc tout le monde devrait pouvoir le faire.
- D’autre part, essayer de se passer de la voiture nous oblige par la force des choses à créer des alternatives. Et l’existence d’alternatives c’est quand même vachement pratique pour nourrir une lutte collective.
- Le comportement individuel est aussi une forme de militantisme et de sensibilisation. Quand il a été question pour moi de travailler dans un bureau d’étude sur la mobilité, j’étais enthousiaste mais un peu inquiet concernant le rythme du travail et la conciliation avec la vie privée. Plutôt qu’éventuellement négocier le salaire, j’ai exigé de ne travailler qu’à 4/5ème temps alors que ce n’était pas vraiment la culture de la boite. Quelques années plus tard, le 4/5ème était une option bien plus largement adoptée au sein de cette entreprise suite à mon exemple qui a donné des idées à d’autres.
En dehors de la question de l’efficacité, on me dit parfois que c’est parce que je suis en bonne santé que je peux faire du vélo. Ce n’est pas vraiment faux mais il ne faut pas aller trop vite en besogne.
- Quand j’étais petit, en primaire, sur le chemin de l’école je croisais très régulièrement (presque tous les jours il me semble) un très vieux monsieur sur un très vieux vélo. Je ne sais rien de lui. Était-ce par plaisir ou par obligation qu’il était sur son vélo ? Je n’en sais rien mais il est évident qu’il était vieux, pas d’allure sportive et qu’il faisait malgré tout très régulièrement du vélo. J’ai en tête quelques autres icônes similaires en tête. Elles m’invitent à ne pas trop vite considérer la santé comme une barrière infranchissable à la pratique du vélo.
- Cela d’autant plus que de multiples études le démontrent, la pratique régulière du vélo est plutôt favorable à notre état de santé. Je n’améliore peut-être pas directement la vie d’une autre personne mais je soigne déjà ma santé avec mon petit vélo. Et encore, en contexte urbain, la qualité de l’air a des impacts importants sur la santé de la population particulièrement des plus fragiles. On sous-estime sans doute les effets rapides et concrets pour les autres de notre pratique du vélo.
- Néanmoins, je me rends bien compte que je vieillis, que je ne suis pas capable de faire les mêmes choses qu’à vingt ans. Je n’ai pas de difficulté à m’imaginer que chacun a ses propres limites. En dehors du fait que ces limites ont tendance à s’élargir avec la pratique, je prends aussi cela comme une occasion de méditer et d’accepter mes limites. De manière générale, je pense que l’on sous-estime et sous-exploite les invitations à méditer que nous offrent les difficultés que nous rencontrons à vélo.
- Tout cela n’empêche qu’évidemment on doit tenir compte et respecter ses propres limites. Mais la voiture n’est ni la seule ni la première option à considérer. Tu as des problèmes d’équilibre ? Peut-être qu’un tricycle changera ta vie (big hug à la personne qui m’a inspiré cet exemple et qui se reconnaitra peut-être). Tu es en surpoids et tu ne te sens pas capable de faire du vélo quotidien ? Peut-être qu’un VAE changera ta vie (big hug à la personne qui m’a inspiré cet exemple et qui se reconnaitra peut-être). …
En vrai, je triche. Si faire du vélo n’est pas toujours que joie, je dois reconnaître que j’y prends beaucoup de plaisir. Mais le plaisir n’est pas qu’inné. Avec le temps, j’ai appris à voir et créer le positif. Il n’est pas question de se voiler la face mais plutôt que d’uniquement râler sur une difficulté ou sur une contrainte, il n’est jamais perdu d’essayer d’en faire une opportunité. En dehors du monde de la bicyclette, je devais effectuer une correspondance entre deux gares à Paris. Correspondance particulièrement longue suite au fait que j’avais pris mes billets tardivement et que tous les trains n’étaient plus disponibles. J’en ai profité pour traverser Paris à pied. Ce n’était pas mon option préférée et je ne le referai pas systématiquement mais je dois reconnaitre qu’au final, j’ai passé un merveilleux moment.
Mon petit vélo c’est une goutte qui vient éroder des rochers. Avec des milliers d’autres, elle vient éroder des rochers. Peut-être que cela créera une brèche dans les rochers, peut-être que pas. Mais sans aucune goutte, les rochers ne seront pas érodés.
Mon petit vélo, c’est semer des graines. Peut-être qu’elles germeront, peut-être pas. Mais sans aucune graine, c’est le désert qui adviendra.